Programme AILF autour de l’édition jeunesse
28 novembre – 2 décembre
Le programme des Ateliers jeunesse organisés par l’AILF dans le cadre du salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil du 28 novembre au 2 décembre 2019, se déclinait en trois phases, avec pour chacune, un public différent. La première phase, réservée exclusivement aux libraires, la seconde à l’interprofession à l’international (libraires, éditeurs, bibliothécaires, auteurs, traducteurs, associations de lecture, enseignants et inspecteurs de l’éducation nationale) et la dernière au grand public.
• 3 formats, 3 publics cibles
Du 28 au 29 novembre, huit libraires francophones ont été accueillis par huit libraires franciliens spécialisés en littérature jeunesse. L’occasion de réfléchir à leurs pratiques au quotidien sur des thématiques spécifiques (aménagement, relations aux fournisseurs, animations – coups de cœur, tables liées à l’actualité, vitrine, participation à des salons). Ce temps d’échange fut l’occasion, comme le souligne Aurore Martin de la librairie La Page à Londres « de constater qu’un même métier peut avoir de très grandes différences selon le lieu et le pays », et de prendre de la distance pour envisager un déblocage de certains problèmes du quotidien. C’est le cas de Nguyễn Hương Lan de la librairie Blue Horizons au Vietnam, accueillie par l’équipe de Mille Pages à Vincennes et qui se demandait comment développer un fonds jeunesse. Dès son retour, elle déclarait « commencer à travailler sur une liste pour un répertoire de jeunesse, en se basant sur les informations recueillies, extrêmement utiles ». Et réfléchir à l’avenir à la possibilité, « d’alterner les librairies afin d'avoir une vision plus complète des profils existants (différents quartiers, librairies généralistes) » comme le souligne Delphine Sicurani de la librairie Stendhal de Rome.
Les 30 novembre et 1er décembre, c’est à la Marbrerie, lieu culturel de Montreuil, à deux pas du Salon du livre et de la presse jeunesse, que les ateliers interprofessionnels et internationaux se sont déroulés sous un format participatif. Une cinquantaine de personnes ont pu, dans un esprit collaboratif et consciencieux, témoigner et échanger à partir d’opinons parfois divergentes sur quatre thématiques (voir plus bas).
Le lundi 2 décembre nous a permis d’offrir à travers trois tables rondes un retour auprès du grand public des thématiques qui avaient été abordées tout au long de ces ateliers tout en proposant à des professionnels du livre (libraires, journalistes, chercheurs et éditeurs) de présenter un choix de livres qui permette de se faire une idée des titres qui pouvaient illustrer chaque thématique. Le succès de l’opération nous a heureusement surpris, le Comptoir des auteurs n’ayant pu accueillir qu’une septantaine de personnes, les autres ayant dû être refoulées. La dernière table ronde a, quant à elle, permis aux éditeurs francophones venus de plusieurs pays de présenter quelques titres de leur catalogue.
• 4 thématiques : biblio diversité, écologie des usages, nouvelles générations d’auteurs, lecteurs et éditeurs et actions entreprises pour toucher les publics éloignés de l’écrit
La première thématique s’articulait autour de la surproduction et de la recherche de bibliodiversité tant dans la production éditoriale que dans la production de contenu, en bibliothèque, en librairie, dans l'édition. Cette surproduction « étouffante au Nord » fait réfléchir les acteurs du « Sud » confrontés à une sous production locale et à une forte présence des éditeurs européens dans leurs pays. Un schéma qui fait réfléchir sur nos manières de voir le monde tout autour de nous comme l’illustre ce témoignage de Paulin Koffivi Assem, des Editions Ago au Togo « la multiplication des titres, des formats, des tirages est d’abord une chance car cela créée un dynamisme dans la production et dans l’économie du livre qui est devenue plus que viable. Mais la machine s’emballe et produit beaucoup de déchets, détruit des métiers et externalise des compétences. On peut, au niveau des pouvoirs publics, de chaque lecteur, libraire, éditeur chercher à mieux connaître ce qui se passe autour de soi pour mieux interagir avec nos milieux ».
En réponse à ce phénomène, l’écologie des usages présente-t-elle des solutions ? Telle était la question du second atelier, animé par l’Association de l’écologie du livre représentée par Marin Schaffner et Anais Massola. Si pour beaucoup, l’écologie est avant tout une réalité matérielle « il est important d’être plus responsable dans ce que l’on produit (réédition, création, nouveautés) et être éco responsable dans ses choix de fabrication (papier, transport) » nous disait l’un des participants, les dimensions sociale et symbolique de l’écologie doivent également être prises en compte. Ces deux notions impliquent des interrelations entre acteurs et de nouveaux imaginaires en cours de création dans un monde qui tente d’allier transition écologique et transformation sociale.
Les deux autres ateliers de la seconde journée ont permis d’ouvrir la réflexion à la lecture, à l’écriture chez les jeunes, et à des projets hors les murs pour toucher tous les publics en tenant compte des réalités locales. Corinna Gepner, présidente de l’ATLF (Association de traducteurs de langue française) a souligné la pertinence d’un travail qui prend en compte les situations locales évoquées par les acteurs exerçant en France ou à l’étranger. La Caravane et toutes autres opérations de lecture à voix haute, sac à histoires, biblio malle ou rencontres professionnelles sont autant d’opérations qui ont été citées comme intéressantes à ce titre.
• Des disparités mais également des volontés de comprendre ensemble
Nous aurions pu isoler les réalités de chacun comme l’indique la libraire de Rome, avec, d’un côté « les réalités ancrées sur le territoire français, de l’autre les réalités en territoire francophone (sous-production et imposition d'un modèle franco-français, ainsi qu'à un public à faible pouvoir d'achat), et enfin les réalités en territoire non francophone (clients bons lecteurs, mais problèmes de distribution-diffusion des petits éditeurs, des transports et de la forte présence de Amazon) ».
Mais ces questions étaient sous-jacentes à nos échanges et ne pouvaient apparaître qu’en filigrane, l’option choisie pour ces Ateliers étant le décloisonnement de nos métiers. Ce choix vient de l’expérience menée en 2015 par l’AILF, qui avait organisé une rencontre sur le livre et la lecture avec plus de 70 acteurs ou personnalités agissant dans des secteurs en rapport avec le livre, et où avait été soulignée l’importance de cette ouverture à des acteurs qui ne font pas partie de la chaine du livre stricto sensu. Car pourquoi parler de lecture si l’on reste dans « l’entre soi » ?
En tout cas, pour Bernadette Bouchane de l’association de l’agglomération bordelaise « Parlons nos langues », c’était appréciable d’avoir « ouvert le cercle aux acteurs du milieu associatif et d’avoir pris en compte le pouvoir d’agir des citoyens ». De son côté, Audrey Beconcini, inspectrice de l’Education nationale, constatait que « les acteurs mènent des actions similaires sans connaissance commune alors que le besoin de communiquer et de fonctionner en partenariat est criant. Il y a urgence lorsqu’il s’agit d’un enjeu aussi important que celui de la construction d’un projet de lecteur et de citoyen du monde ».
Depuis quelques temps, nous constatons que l’ouverture vers d’autres horizons est importante, dès lors que l’on parvient à des échanges libres et respectueux. Françoise Legendre, inspectrice des bibliothèques a indiqué à raison que toutes « les opportunités de coopératives, de collaborations étaient plus faciles à imaginer quand on se montre curieux des autres acteurs de la chaine du livre ».
La dimension sociale, humaine, culturelle qu’impose la lecture implique des échanges transversaux. Natalie Vock – Verlet des Editions Ricochet et Tom’Poche témoignait en ces termes « les échanges étaient d’une grande richesse, ils nous ont permis de confronter nos points de vue et réflexions et nous ont aussi mis en face de notre lourde responsabilité, en tant qu’acteurs de la chaine du livre et garant de la valeur du livre ». On le voit donc, en les décloisonnant, il est plus aisé de réfléchir au sens de nos métiers, aux conditions dans lesquelles ils sont exercés et aux remises en cause nécessaires. En résulte, le souhait de plusieurs professionnels de « rendre les lieux d’accueil moins intimidants pour que les personnes s’approprient d’un point de vue culturel et linguistique les livres et prennent conscience du rôle social et culturel de chacun ». C’est ce que Leslie Billon de la librairie Zadig à Berlin a ressenti en se promettant de proposer des temps de lecture en librairie. Sortir de ses murs et aller vers tous les publics est un leitmotiv qui est ressorti à plusieurs reprises.
C’est apparu notamment dans les doléances de la libraire de Notre Dame de Cotonou qui a souhaité montrer que la librairie est aussi un espace public.
Aller vers une offre plus métissée, via les assortiments en librairie ou les fonds en bibliothèque en est une autre. Cette nécessité de se « créoliser », pour reprendre le terme d’Edouard Glissant, en s’adaptant à la diversité linguistique et culturelle de la francophonie est évidente. La présence d’associations comme Dulala, Parlons nos langues ou la bibliothèque interculturelle de Fribourg allait dans ce sens car « la question du plurilinguisme qui est au cœur des préoccupations de Dulala est également essentielle pour les professionnels du livre et de la lecture en jeunesse : soutenir la transmission des langues et des histoires familiales favorise l'entrée dans l'écrit et la genèse d'un imaginaire collectif riche de sa diversité » précisait Caroline Natali, sa représentante.
• Quelles suites donner ?
Pour que cette rencontre s’inscrive dans des actes concrets, chaque atelier devait déterminer d’éventuels communs, dysfonctionnements, recommandations, outils, projets à mutualiser ou pistes à creuser. Le tout est en cours de finalisation et une publication reprenant ces priorités est envisagée pour 2020.
Le souhait pour beaucoup de continuer ce travail d’ouverture pourra se concrétiser selon certains via des associations locales de libraires qui pourront se rapprocher d’autres acteurs de la chaine du livre, comme l’indique la représentante de la librairie Notre Dame au Bénin. Mais l’urgence est de créer des outils adaptés pour travailler ensemble. Au-delà de la richesse des échanges, la force de ces rencontres est d'avoir su « impliquer les participants pour élaborer des pistes d'amélioration » observe Ana Caldeira (directrice de la bibliothèque interculturelle de Fribourg).
Parmi les autres projets collectifs évoqués et qui feront l’objet de différents groupes de travail où se sont inscrits certains des participants, figure aussi le fait d’amener les institutions culturelles françaises à l'étranger à développer plus de collaborations avec des libraires ; de communiquer sur la valeur de chaque métier via un document universel à la disposition de tous ; de favoriser la circulation des livres et permettre aux auteurs du Sud (Africains notamment), publiés par des éditeurs du nord, de ne pas leur céder leurs droits pour certaines zones géographiques, l'objectif étant de confier ces droits à un éditeur du Sud qui pourra proposer leurs livres à des prix en rapport avec le niveau de vie du pays ; d’envisager un comptoir pour les petits éditeurs peu présents au grand export.
• Notes pour illustrer des photos
La restitution graphique croquée par Mariette Robbes a animé visuellement ces deux journées.
Des feuilles de route sur chaque atelier seront disponibles prochainement sur le site de l’AILF.
• Retrouvez la liste des participants en cliquant ici